Histoire de Lune

On entend souvent à la télé, radio, ou dans les réseaux sociaux, parler de superlune, de lune bleue, de lune du loup, du cerf, du chasseur… mais que sont ces lunes ?

La Superlune

La super-lune, ou superlune, n’a pas de sens scientifique en astronomie. Ce mot valise a été inventé en 1979 par un astrologue américain, Richard Nolle, qui cherchait à mettre en relation des catastrophes naturelles avec cette conjonction. Il publie la première fois cette définition dans un article en 2 parties du périodique d’astrologie américain Dell Horoscope Magazine, entre septembre et octobre 1979.

Nolle appelle superlune « une nouvelle ou pleine lune qui se produit lorsque la Lune est à sa plus courte distance (ou à 90 % de celle-ci) de la Terre lors d’une orbite donnée (périgée). En bref, la Lune, la Terre et le Soleil sont alignés, la Lune étant au plus près de la Terre. »

Pourquoi 90% ? On ne le sait pas. Il aurait pu choisir 95% ou 99%, ce qui aurait rendu l’événement bien plus rare !

Cette notion de superlune est restée dans l’ombre jusque dans les années 2000-2010 où elle prend de la notoriété avec le développement d’Internet, des réseaux sociaux et l’attrait du buzz dans les médias.

Qu’est-ce que le périgée et l’apogée ? L’orbite lunaire n’est pas un cercle parfait. Notre satellite orbite en moyenne à 384 400 km de la Terre. Mais comme la trajectoire est une ellipse, la lune se rapproche à 356 410 km au périgée et s’éloigne à 406 740 km à l’apogée.

Comment savoir si on a une Superlune ?

Une superlune est une « pleine lune au périgée » (ou une lune au périgée syzygie). Selon cette définition, désormais officialisée par la NASA à cause des absurdités que les médias véhiculaient, la lune n’a pas besoin d’être exactement à son périgée quand elle est pleine (ce qui n’arrive jamais), l’auteur a prévu une certaine tolérance sur la position de l’astre par rapport au périgée. Le calcul est détaillé ci-dessous à partir de la connaissance de 3 distances :

  • Dm, la distance de la Pleine Lune dont on cherche à savoir si elle est Super ou non
  • Da, la distance à l’apogée qui suit ou précède immédiatement cette Pleine Lune
  • Dp, la distance au périgée qui suit ou précède immédiatement cette Pleine Lune

On calcule ensuite le ratio :

r=100.(D_a-D_m)/(D_a-Dp)

Si le ratio r est supérieur ou égal à 90% la Pleine Lune considérée est une Superlune.

Par exemple, le 19 août 2024, on avait, selon les éphémérides de Fred Espenak :

  • Dm=361 970 km le 19/08/2024
  • Da=405 298 km le 09/08/2024
  • Dp=360 199 km le 21/08/2024

D’où :

r=100.(405 298-361 970)/(405 298-360 199)=96.1\% \geq 90.0\%

C’était bien une Super Lune.

Est-elle vraiment plus grosse ? Pas beaucoup plus. Le diamètre apparent de la lune dans son orbite autour de la Terre oscille entre 29’20’’ et 33’30’’ avec un diamètre moyen de 31’25’’. Il oscille donc de +/-6.5% autour de sa moyenne et ce n’est pas assez pour qu’on s’en rende compte à l’œil nu.

Est-elle plus lumineuse ? Oui, mais pas tant que ça. C’est vrai qu’elle est plus proche de la Terre et en apparence un peu plus grosse qu’une pleine Lune normale, mais elle n’est que de 9% à 16% plus lumineuse qu’une pleine lune moyenne. Les médias rapportent une superlune « 30% plus lumineuse », mais c’est en comptant relativement à sa position la plus éloignée à l’apogée…

Est-ce un événement rare ? Non, pas du tout ! Il y en a entre 3 et 5 par an et de toute façon, superlune ou pas, vous ne verrez pas la différence dans le ciel !

Voir pouvez voir la liste des superlunes sur le site de Fred Espenak.

Ne croivez donc pas les racontars des réseaux sociaux qui vous annoncent un événement hyper rare avec une superlune exceptionnellement grande ! D’ailleurs, les clubs d’astronomie ne font généralement pas d’observation particulière ces soirs là…

Les noms des lunaisons

La Lune, visible de toute part sur notre planète, a servi de repère pour marquer le temps depuis que les humains – et peut être aussi certains animaux – ont levé les yeux au ciel. Ainsi de nombreux peuples ont mesuré le temps sur les phases lunaires. Les grecs anciens calaient leur calendrier sur la Lune, tout comme les babyloniens, les assyriens, hébreux, chinois, arabes… Chaque période commençait par l’observation concrète de la nouvelle Lune, jamais de la pleine lune.

Les peuples ont donné des noms à chaque lunaison, les associant aux travaux, aux saisons ou aux phénomènes naturels récurrents à chaque période de l’année. Ca leur permettait de mieux se repérer dans le temps.

La culture des amérindiens

Les indiens d’Amérique nommaient les périodes à partir des nouvelles lunes. Les années commençaient à la première nouvelle lune du printemps, à peu près au mois de mars. À cause du décalage entre les années solaires (qui rythment les saisons) et les mois lunaires, ils comptaient 30 lunes, puis en inséraient une 31ième qu’ils appelaient la Lune perdue, et recommençaient ensuite la numération. Les premiers colons américains ont largement contribué à la diffusion des noms des lunaisons donnés par les natifs américains.

Les noms des lunaisons sont décrits pour la première fois dans le livre Travels through the Interior Parts of North America, in the years 1766, 1767, and 1768 du Cpt. Jonathan Carver. Il explique que chaque lunaison a un nom qui varie d’une tribu à l’autre, et propose la liste suivante, bien que la correspondance avec nos mois soit approximative car dépendante de l’observation d’événements naturels :

  • Janvier : lune de glace
  • Février : lune de neige
  • Mars : lune des vers
  • Avril : lune des plantes
  • Mai : lune des fleurs
  • Juin : lune de la chaleur
  • Juillet : lune du cerf
  • Août : lune de l’esturgeon
  • Septembre : lune des moissons (ou du maïs)
  • Octobre : lune de la migration
  • Novembre : lune du castor
  • Décembre : lune du chasseur

Toutes les tribus n’utilisaient pas les mêmes dénominations. Le Old Farmer’s Almanac en liste plein d’autres. Cela laisse beaucoup de possibilités pour dénommer une lune, par exemple rien qu’en janvier : lune de l’oie bernache (chez les Indiens Tlingit), lune centrale (Indiens Assiniboine), lune froide, de givre ou grande lune (Indiens Cree), lune de gel (Indiens Algonquin), lune de l’esprit (Indiens Ojibwe)…

Dans d’autres cultures

Les indiens d’Amérique n’ont pas été les seuls. Avant eux, les basques, assyriens, babyloniens, hindous, hébreux, arabes, etc. nommaient leurs mois en fonction de l’apparition de la nouvelle lune.

Au Pays basque par exemple, Jean Pierre Darrigol donne cette liste dans sa Dissertation critique et apologétique sur la langue basque, en 1815 :

  • Janvier : lune de l’année, ou lune du froid
  • Février : lune du loup
  • Mars : lune de la taille
  • Avril : lune du sarclage
  • Mai : lune des feuilles
  • Juin : lune brulante
  • Juillet : lune de la moisson
  • Août : lune tarie
  • Septembre : lune de la fougère, ou lune du labour
  • Octobre : lune des eaux ou des pluies
  • Novembre : lune des semailles
  • Décembre : lune du repos

Chez les Tatares, Johann Gottlieb Georgi dans sa Description De Toutes Les Nations De L’Empire De Russie les lunaisons – Les nations tatares établies, en 1776, liste les noms :

  • Janvier : courte lune
  • Février : lune aux vents
  • Mars : lune de la fin d’hiver
  • Avril : lune de l’écureuil rayé
  • Mai : lune de la charrue
  • Juin : lune aux racines
  • Juillet : lune de propreté
  • Août : lune de l’été
  • Septembre : lune du battage (des blés)
  • Octobre : (non décrite)
  • Novembre : lune des vieilles femmes
  • Décembre : grande lune

La liste (autoproclamée) officielle

Le Old Farmer’s Almanac a édité une liste des lunes, autoproclamée « liste officielle ». C’est cette liste qui a la faveur des journalistes, astrologues et influenceurs de tous poils :

  • Janvier : lune du loup
  • Février : lune de neige
  • Mars : lune des vers
  • Avril : lune rose
  • Mai : lune des fleurs
  • Juin : lune des fraises
  • Juillet : lune du cerf
  • Août : lune de l’esturgeon
  • Septembre : lune des moissons (ou du maïs) *
  • Octobre : lune du chasseur *
  • Novembre : lune du castor
  • Décembre : lune froide

la lune des moissons suit ou précède directement l’équinoxe d’automne et se trouve donc généralement en septembre. Il arrive qu’elle se lève en octobre, dans ce cas la lune de septembre prend le nom de lune de maïs. Évidemment la lune du castor devient la lune du chasseur (vu que le chasseur a dégommé le castor).

Attention, il s’agissait à l’origine des noms donnés aux lunaisons à partir de la nouvelle lune et non pas des noms des pleines lunes. Donc si une pleine lune avait lieu, par exemple le 2 mars, cela voulait dire que la nouvelle lune de sa lunaison avait eu lieu en février et la pleine lune du 2 mars s’appelait « Pleine lune des neiges » et non pas « Pleine lune des vers ». Mais la mode étant aux Pleines lunes – et au moindre effort mental – les éditeurs de l’almanac l’ont simplement appliqué aux pleines lunes… Ainsi la Pleine lune du 2 mars s’appelle désormais « Pleine lune des vers »…

Quelques noms particuliers

Pleine lune des moissons, des vendanges ou du labour

La période de fin septembre à début octobre, à peu près à l’équinoxe d’automne, coïncide avec le moment où le maïs devait être récolté chez les amérindiens, d’où le nom Lune des Moissons, repris ensuite par les fermiers américains.

On trouve une mention de cette Lune des moissons (Harvest moon) et de la Lune du chasseur (Hunter’s moon) dans le livre Astronomy Explained Upon Sir Isaac Newton’s Principles, par James Fergusson, en 1673 :

Mais en Europe, pas de maïs mais c’est le mois où le raisin est vendangé, et où la terre est labourée avant d’être réensemencée. On trouve donc souvent référence à une Lune des vendages, ou Lune du labour.

L’association entre la lune de l’équinoxe d’automne et cette période de culture est donc très partagée.

Pleine lune du chasseur

Dans la tradition amérindienne, la Lune du chasseur est celle qui suit la Lune des moissons, car en octobre, les paysans avaient fini les récoltes et les travaux des champs et se consacraient alors à la chasse avant l’hiver.

Pleine lune bleue

Cette appellation n’a aucun rapport avec la couleur de la lune !

Ce terme fait référence à une 13ième pleine lune dans l’année, alors qu’il y en a en général 12. Deux définition co-existent, celle de la revue Sky & Telescope, et celle du Old Farmer’s almanac :

  • Old Farmer’s Almanac – Pleine lune bleue de la saison – Normalement les saisons durent 3 mois et ont donc 3 pleines lunes, mais il arrive qu’une d’entre elles en ait 4. On attribue alors à la troisième la couleur bleue. Ce n’est pas un événement rare, il se produit environ tous les 2 ans et 9 mois. C’est cette interprétation qui a la faveur du Old Farmer’s Almanac, elle avait été utilisée dans un autre almanac, le Maine’s Farmers’ Almanac depuis 1937. Cette insertion permet d’aligner les noms des mois lunaires avec les saisons.
  • Sky & Telescope – Pleine lune bleue du mois – Quand il y a deux pleines lunes dans le même mois, on attribue à la seconde la couleur bleue. Cette interprétation a été inventée en 1946 par James Hugh Pruett dans un article de la revue américaine Sky & Telescope. L’auteur de l’article avait improprement interprété la Lune bleue décrite dans le Old Farmer’s Almanac. C’est cette interprétation qui a malgré tout la faveur de la NASA dans ses éphémérides. L’événement arrive avec la même fréquence que la Pleine lune bleue de la saison, mais jamais en même temps.

Dans tous les cas, la lune n’a jamais une couleur bleue.

Enfin presque jamais, car en d’extrêmement rares occasions, lorsque des poussières volcaniques ou des fumées d’incendies sont présentes en quantité dans l’atmosphère et avec une dimension comprise entre 1 et 1,5 microns, elles peuvent absorber la lumière rouge, ne laissant ainsi passer que le bleu.

L’explication est complexe et les curieux pourront lire ce papier de Nellie Wullenweber et. al. C’est en particulier ce qui est arrivé après l’éruption du Krakatau les 26-27 août 1883, le Soleil et la Lune sont apparus bleus (et même parfois verts) progressivement du 2 au 10 septembre un peu partout dans l’hémisphère nord. C’est aussi ce qu’il s’est passé le 26 septembre 1950 dans le ciel européen, conséquence d’un gros incendie qui sévissait au Canada, ainsi que le rapporte Les Dernières Nouvelles d’Alsace du 28 septembre 1950.

Au XVIe siècle, le barbe gallois William Cynwal faisait référence à une lune bleue dans l’un de ses versets pour prévoir le temps. On trouve cette référence dans l’ouvrage anglais sur l’agronomie General View of the Agriculture and Domestic Economy of South Wales, 1815 :

Notons que le terme Lune Bleue n’a strictement rien à voir avec l’expression populaire anglaise « once in a blue moon » dont l’équivalent en français serait « quand les poules auront des dents ». On trouve cette expression en 1821 dans le dictionnaire d’argot du livre Life in St. George’s fields, de J. Burrowes « Blue moon = a long time » (trad. Une longue période).

Nouvelle lune noire

C’est l’équivalent de la Pleine lune bleue, mais pour la Nouvelle lune. Cet événement arrive avec la même fréquence que la Pleine lune bleue. Il semble que ce terme, compris dans ce sens, ait été inventé en 2016 dans un article américain, par extension d’après la Lune bleue.

On retrouve cependant diverses autres définitions pour la Lune noire :

  • lorsqu’il n’y a pas de nouvelle lune dans un mois, ce qui ne peut arriver qu’en février, certains disent qu’il s’agit d’un mois de lune noire,
  • nom donné dans certaines cultures pour la nouvelle lune,
  • nom donné à la lune qui vient masquer le Soleil pendant une éclipse.

Le chef indien sioux nommé Lune noire (Wi Sapa), né en 1821, a participé à la bataille de Little Big Horn en 1876. Selon la légende, il était né une nuit de nouvelle lune.

Pleine lune de sang (ou rouge, cuivrée, rousse)

C’est la couleur attribuée à la lune quand elle est éclipsée par la Terre. La lumière qui vient du Soleil est filtrée par l’atmosphère terrestre et seules passent les longueurs d’ondes rouges, d’où la couleur brun-rouge que prend la Lune à ce moment. Il ne faut pas la confondre avec la Lune se levant ou se couchant derrière un couche de brume, ou si le ciel est chargé de particules (sable, fumées…) qui peuvent aussi lui donner une teinte rougeâtre.

C’est aussi le moment préféré des créatures de la nuit.
Vous êtes prévenus !

Lune du Cheshire

Ce nom est donné à la Lune lorsque le croissant a une forme un bol, les pointes dirigées vers le haut. Cette forme n’est visible que depuis les zones tropicales. Lewis Caroll, auteur d’Alice au Pays des merveilles, a appelé ainsi le chat du Cheshire, dont le sourire énigmatique prend la forme d’un tel croissant lunaire.

Cependant, l’expression populaire sourire comme un chat du Cheshire date d’avant le livre de Lewis Caroll, puisqu’on la retrouve dans de nombreux ouvrages dès 1788, comme ici dans A Classical Dictionary of the Vulgar Tongue, de Francis Grose :

L’origine de cette expression viendrait de la marque d’un fabricant de fromages du Cheshire, qui apposait une étiquette montrant un chat avec un large sourire.

La Superlune Bleue…

…indique la conjugaison d’une Superlune avec une Lune bleue.

La conjugaison de ces phénomènes est très irrégulière, mais elle n’est pas rare du tout ! Elle se reproduit en moyenne tous les 5-6 ans pour le XXIème siècle. Et comme il y a deux définitions différentes pour la Lune bleue, on a une démultiplication des dates possibles :

Old Farmer’s Almanac
(superlune bleue de la saison)
Sky & Telescope et NASA
(superlune bleue du mois)
19/08/2005 18/02/2011 21/08/2013 19/08/2024 21/08/2032 18/05/2038 22/08/2040 22/08/2051 18/05/2057 23/08/2059 20/05/2065 21/05/2073 20/05/2084 20/11/208631/07/2004 31/12/2009 31/07/2015 31/01/2018 31/08/2023 31/01/2037 31/03/2037 31/08/2042 30/09/2050 31/03/2056 30/09/2069 30/04/2075 31/10/2077 31/05/2083 31/10/2096
Dates des superlunes bleues pour le XXIème siècle, d’après Fred Espenak

La superlune bleue du 19 août 2024 n’est pas une lune bleue selon Sky & Telescope, mais c’en est une selon le Old Farmer’s Almanac. La superlune bleue suivante aura lieu le 21 août 2032 selon le Old Farmer’s Almanac, ou le 31 janvier 2037, selon Sky & Telescope.

On remarque qu’il n’y a aucune date commune entre les deux définitions, ce qui dédouble le nombre d’événements pour les amateurs de Superlunes bleues puisqu’ils peuvent utiliser la définition qui leur convient. Par exemple, en matière de Lune bleue qui suit celle du 31/08/2023, CNews – une référence en matière d’information scientifique ! – utilise à sa convenance la définition de Sky & Telescope (31/01/2037) ou celle de l’Almanach (19/08/2024) :

Conclusion

Tout cela, c’est sans compter d’autres noms exotiques et fantaisistes inventés par des journalistes, influenceurs et astrologues en mal de buzz…

Il ne faut retenir qu’une chose, à l’exception de la Pleine lune des moissons (ou des vendages, labours…) qui semble commune à de nombreuses cultures , tous les noms donnés à la Lune n’ont aucune définition officielle. Les noms dépendent de traditions diverses, et je suis loin d’avoir cité toutes les variantes, ou ont été inventés de toutes pièces.

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