Lucien Libert, astronome et psychiatre havrais

Louis Lucien Libert (1882-1916), qui signait Lucien Libert, est un médecin psychiatre et astronome amateur né le 4 avril 1882 à Paris. Il habite au Havre quand il commence à publier ses premières observations dans les revues des sociétés scientifiques locales vers 1897. Il a tout juste 15 ans mais ses descriptions et sa plume habile lui assurent un vif intérêt de la part des savants havrais et même anglais car ses travaux sont cités dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society en 1898. Ses centres d’intérêts sont les étoiles filantes, les tâches solaires, les étoiles variables, Jupiter et les éclipses de lune ou du soleil.

Libert observe du Havre, depuis la demeure familiale au 15, rue François Millet, maison entourée en rouge ci-dessous sur cette photo de 1919 (la maison existe toujours) et se plaint déjà de la pollution lumineuse de la ville. Il arrive quand même à observer la lumière zodiacale !

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Mais c’est surtout du Château du Colombier, propriété de ses parents à Saint-Jean-de-la-Neuville qu’il réalise ses plus intéressantes observations.

Il possède là-bas une lunette de 109 mm d’ouverture, une lunette méridienne de 55 mm toutes deux fabriquées par Mailhat, ainsi qu’une pendule sidérale et des instruments météorologiques.

Il publie les Annales de mon observatoire, à partir de 1901, dans lesquelles il consigne ses observations, et fait participer de nombreux astronomes. Il trouve toutefois que son bulletin ne traite pas assez de sujets novateurs ou issus d’un véritable travail de recherche et décide d’y mettre fin en 1906. Mais ça ne l’empêche pas de poursuivre ses travaux et de communiquer avec les astronomes et météorologues français comme le montre cette lettre écrite à M. Luizet, météorologue adjoint à l’observatoire de Lyon.

Il s’intéresse beaucoup à l’histoire de l’astronomie et commence à écrire Le monde de Jupiter dont seulement 2 volumes (sur les 4 prévus), paraissent entre 1903 et 1904. C’est à cette époque le seul ouvrage qui fait un point complet sur les premières observations de la planète depuis le XVIIe siècle.

Il publie aussi de nombreux articles dans la revue La Nature. La qualité de ses observations lui fait gagner un prix de la Société Astronomique de France dont il devient membre, puis secrétaire de la commission des étoiles variables en 1901. Il est aussi membre de la British Astronomical Association et secrétaire de l’Association française pour l’avancement des sciences.

Il voyage à Tripoli pour y observer l’éclipse du Soleil qui doit avoir lieu le 30 août 1905. L’équipe d’observateur trouve place sur la terrasse du toit du Consulat de France. Cette photo de groupe est la seule, en l’état actuel de mes recherches, où l’on peut voir Lucien Libert, mais la qualité de la reproduction est très mauvaise (Source : Annales de l’observatoire de Lucien Libert, vol. 21, 1905) :

En 1908, il recommence à publier une série de brochures sous le titre Publications de l’Observatoire privé de Lucien Libert, mais ses études en médecine l’écartent de l’astronomie. De fait, on ne trouve plus de publication de Libert après 1908 dont le sujet est lié de près ou de loin à l’astronomie, il se consacre exclusivement à la psychiatrie.

Licencié es-sciences, il est interne des asiles de la Seine, à Sainte-Anne puis Maison-Blanche. Il soutient sa thèse en 1909, et écrit de nombreux articles sur la psychiatrie, avec Paul Sérieux en particulier. Il travaille ensuite à l’asile départemental d’aliénés de Saint-Venant dans le Pas de Calais. Libert s’intéressait aussi aux autres sciences biologiques et travaillait aux laboratoires de zoologie de la Sorbonne, de Wimereux et de Roscoff.

Il participe au Congrès international de neurologie et de psychiatrie de Gand en août 1913, où cette photo de groupe a été prise. On ne sait pas où il se trouve mais il n’a que 31 ans, ce qui écarte les plus anciens, qui sont aussi les plus nombreux…

Des quatre hommes de la photo, c’est le deuxième en partant de la gauche qui ressemble le plus à la photo prise pendant l’éclipse de 1905 à Tripoli (implantation des cheveux, forme du visage). Paul Sérieux le décrit ainsi lorsqu’il fait son éloge dans les Annales médico-psychologiques :

Annales médico-psychologiques, t7, avr. 1916, pp. 137-151
extrait de la nécrologie de L. Libert par Paul Sérieux

Louis Lucien Libert est né le 4 avril 1882 à Paris dans le 4ième arrondissement fils naturel de Sophie Richard originaire de Plouharnel (Morbihan), giletière âgée de 28 ans. Il n’est reconnu par son père Louis Libert originaire de Moselle, que 3 ans plus tard. Ses parents se marient en février 1888 au Havre. Il a un frère, Marcel Théau Louis, né au Havre en novembre 1888.

Il épouse Renée Marie Anna Henriette Chaigneau, originaire de Niort, en 1907 à Vincennes, alors qu’il est externe aux hôpitaux de la Seine. Il habite alors à Paris au 31-33 rue Descartes dans le 5ième arrondissement. Ils n’auront pas d’enfant.

C’est Paul Sérieux qui explique la vie de Libert pendant la 1ère guerre mondiale. Lucien Libert est enrôlé le 1er août 1914 dans le 44ème bataillon des chasseurs à pied de l’armée de Lorraine en tant que médecin, avec le grade d’aide-major de 2ième classe (ce bataillon participera plus tard aux tristes batailles de Verdun, de la Somme puis du Chemin des Dames). Un éclat d’obus le blesse à l’épaule en septembre 1914 mais il refuse de se faire évacuer. Il échappe de peu à la mort quand son cheval s’écroule, touché par deux balles, alors qu’il se déplace vers son poste de secours à Carency.

Début 1915, le gouvernement serbe demande des médecins français pour combattre les épidémies mortelles de typhus qui ont décimé leur personnel médical. Il est affecté le 10 mars à la mission française de Serbie avec le grade de médecin-major de 2nde classe. Lorsqu’il arrive à Valjevo en avril, il ne reste qu’un infirmier parmi le personnel soignant, tous les autres sont morts du typhus et les malades gisent abandonnés dans leurs lits. Après plusieurs mois pendant lesquels il participe avec ses collègues à la remise en ordre de dispensaire, il est récompensé par la Médaille d’argent des épidémies. L’épidémie continue de faire des ravages car sur 30 infirmières arrivées en avril, seules 3 survivront.

Cette lettre à Camille Flammarion, non datée, mais écrite fin septembre – début octobre 1915 est probablement l’un de ses derniers messages avant de succomber quelques mois plus tard des complications de la fièvre typhoïde. Elle a été transcrite dans la revue L’Astronomie, 1915, vol. 29, p. 76.

Il témoigne des atrocités qu’il voit dans les ruines d’un village, à peu de distance de son poste de secours. La barbarie de l’époque n’a d’égale que celle des soldats russes contre les civils de Tchétchénie, de Syrie, d’Ukraine… :

Mais les allemands, autrichiens et bulgares contre lesquels les serbes se défendent prennent le dessus. L’armée autrichienne entre le 15 novembre à Valjevo, puis c’est au tour de Belgrade de tomber. L’armée serbe doit se retirer de façon dramatique, en plein hiver 1915, jusqu’en Adriatique. La photo ci-dessous a été publiée dans le journal Le Miroir le 02 janvier 1916.

Libert suit le mouvement, et rentre en France dans sa famille en janvier 1916. Très affaibli il doit être hospitalisé. Il espère se rétablir rapidement pour retourner au front soigner les blessés et malades, mais il fini par succomber à la maladie le 22 janvier 1916. La presse locale fait écho de sa disparition (Journal « Le petit havrais ») :

Il est enterré avec son épouse au cimetière du Père Lachaise à Paris, division 36.

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