La règle NPF n’est pas issue du hasard, ni d’un empirisme. Elle vient d’une analyse des propriétés de l’image d’une étoile formée sur le capteur.
Pour le calcul en ligne, allez sur cette page.
L’image de l’étoile
Sommaire
Une étoile est une source de lumière considérée ponctuelle car la distance qui nous sépare d’elle est infiniment supérieure au diamètre de cette étoile. Prenons Alpha A du Centaure, l’étoile la plus proche de la Terre. Son diamètre est de 1,7millions de km et elle se situe à 4.4 années lumière de nous. Cela correspond à un angle apparent de 0.0084 secondes d’arc. Avec un objectif de 50 mm de focale, le diamètre de l’étoile sur le capteur serait de 2 nanomètres, soit plusieurs milliers de fois plus petit que la taille d’un pixel sur le capteur… on ne devrait pas la voir, et pourtant on la voit sur les photos !
En fait, trois phénomènes étalent la lumière sur la surface du capteur et sont considérés dans la règle NPF, en plus du mouvement des étoiles dans le ciel à cause de la rotation de la Terre :
- La diffraction, qui est une propriété ondulatoire de la lumière ;
- La turbulence atmosphérique, qui est une propriété de l’atmosphère terrestre ;
- La reconstitution des couleurs par l’électronique du capteur.
Ainsi d’une image qu’on croyait ponctuelle, on aboutit à une tâche qui s’étale sur quelques pixels. C’est grâce à cet étalement qu’on pourra poser assez longtemps.
Il y a d’autres sources d’étalement de la lumière, mais elles sont bien plus difficiles à quantifier :
- aberrations optiques de l’objectif (sphéricité, astigmatisme, coma), mais en général ces aberrations sont très faibles au centre de l’image, elles sont prises en compte malgré tout de façon arbitraire sur le choix du diamètre de la figure de diffraction d’Airy ;
- débordement du signal sur les pixels voisins (en anglais blooming), les capteurs des APN sont généralement peu ou pas affectés par ce défaut ;
- mauvaise mise au point et vibrations, le photographe doit les maîtriser.
Effet de la diffraction
Lorsqu’un flux lumineux issu d’une source ponctuelle traverse un trou, en l’occurrence le diaphragme de l’objectif, il ne se concentre pas en un point mais s’étale en anneaux autour de son axe. Cette particularité de la lumière a été expliquée par un britannique, George Airy en 1835. Elle porte désormais son nom.
À peu près 84% de l’énergie lumineuse du flux en provenance de l’étoile est concentrée dans la tâche centrale. Le premier anneau contient environ 7% de l’énergie et le suivant 3%.
Tous les objectifs souffrent de quelques défauts optiques (aberration de sphéricité, coma, astigmatisme…). Ces défauts optiques aussi minimes soient-ils, étalent la figure de diffraction et une partie de la lumière de la tache centrale se disperse sur les anneaux, surtout le premier, comme expliqué dans cet article dont est tirée l’image ci-dessous.
Ainsi, contrairement à ce qui est pris habituellement, j’ai fait le choix de prendre pour diamètre de la tache de diffraction, non pas celui du premier zéro (diamètre de la tache centrale) mais celui situé entre le premier et le second anneau :
d_{Airy}=4.47 * \lambda * N
Où λ est la longueur d’onde de la lumière en mètres et N le rapport d’ouverture de l’objectif.
Effet de la turbulence atmosphérique
Les propriétés optiques de l’air de l’atmosphère ne sont pas homogènes et ne cessent de fluctuer dans le temps et dans l’espace. Un rayon lumineux oscillera ainsi autour d’une position moyenne. On appelle seeing l’angle moyen apparent de dispersion du rayon lumineux. Il est généralement compris entre 0.3 secondes d’arc pour les meilleurs sites astronomiques (où sont installés les grands télescopes scientifiques) jusque 5 secondes d’arc quand les conditions sont mauvaises. Un site « normal » a généralement un seeing de l’ordre de 3 secondes d’arc, rarement plus, quelque fois moins.
Voici à quoi ressemble en fait une étoile vue depuis la surface de la Terre avec 3 conditions de ciel différentes (source Damian Peach) :
Seeing parfait
Seeing moyen
Mauvais seeing
Le diamètre moyen de seeing est calculé par la relation :
d_{seeing}=f\cdot\tan \alpha \approx f \cdot \alpha
Où α est l’angle de seeing, en radians, et f la focale de l’objectif, en mètres.
Effet de la reconstitution des couleurs du capteur
Le capteur est composé d’une grille de photo-sites. Ils sont regroupés par paquet de 4 organisés selon un modèle dit « de Bayer ». Chaque photosite ne capte qu’une des 3 couleurs fondamentales du spectre lumineux, soit le rouge, le vert ou le bleu.
L’image est ensuite reconstruite de façon logicielle à partir des informations captées par les photosites voisins.
Même si l’étoile n’avait éclairé qu’un unique photosite, l’image finale de l’étoile sera donc nécessairement étalée sur au moins 9 pixels, en fait même un peu plus car les algorithmes évolués de démosaïcage travaillent sur une zone plus large. On ne connait pas vraiment l’algorithme utilisé par les logiciels internes des appareils photos, c’est le savoir faire du fabricant. On va donc considérer que le diamètre moyen sur l’image d’un détail ponctuel sur le capteur est égal à 2 fois la largeur p d’un photosite.
d_{Bayer}=2 \cdot p
Où p est la largeur d’un photosite, en mètres.
Déplacement de l’étoile
La Terre fait un tour en 23 heures 56 minutes et 4 secondes, soit 86164 secondes. L’étoile semblera se déplacer d’autant plus rapidement que sa déclinaison δ sera proche de zéro, c’est à dire qu’elle se trouve sur le plan équatorial de la voûte céleste. Sur le capteur, pour un temps t donné, l’étoile va se déplacer d’une valeur d en mètres telle que :
d_{capteur}=f \cdot \tan \left( \dfrac{2 \pi}{86164}\cdot t\cdot\cos \delta \right) \approx \dfrac{f\cdot t \cdot\cos \delta}{13713}
D’où sa vitesse de déplacement sur le capteur, en mètres par seconde :
v_{capteur} \approx \dfrac{f \cdot \cos \delta}{13713}
Où t est la durée de l’exposition en secondes, temps pendant lequel l’étoile se déplace sur le capteur, δ est la déclinaison de l’étoile, en radians.
La règle NPF complète
J’ai introduit le paramètre k qui sert à ajuster la quantité de filé acceptable de l’étoile sur l’image :
- k=1 : pas de filé, l’étoile se déplace de 1 fois son rayon sur l’image et apparait donc ronde
- k=2 : filé légèrement perceptible, l’étoile se déplace de 2 fois son rayon (donc d’un diamètre).
- k=3 : filé perceptible, l’étoile se déplace de 3 fois son rayon.
La règle NPF complète devient donc :
t_{expo} \approx \dfrac{k}{2}\cdot\dfrac{d_{Airy}+d_{seeing}+d_{Bayer}}{v_{capteur}} \approx \dfrac{k}{2}\cdot\dfrac{4,47 \cdot \lambda \cdot N+f \cdot\alpha + 2\cdotp p}{\dfrac{f \cdot \cos \delta}{13713}}
En exprimant toutes les grandeurs dans les unités usuelles (focale en mm, p en micromètre, seeing en secondes d’arc, longueur d’onde en nanomètres), en faisant l’hypothèse d’un seeing moyen de 3 secondes d’arc et d’une longueur d’onde moyenne de 550 nm, on arrive à la relation :
t_{expo} \approx \dfrac{k}{2} \cdot \dfrac{4,47 \cdot 550 \cdot 10^{-9} \cdot N+ 2 \cdot p_{µm} \cdot 10^{-6}+f_{mm}\cdot 10^{-3} \cdot \dfrac{3 \pi}{180 \cdot 3600} }{\dfrac{f_{mm}\cdot 10^{-3} \cdot \cos \delta}{13713}}
soit :
t_{expo} \approx k \cdot \dfrac{16,9 \cdot N + 13,7 \cdot p_{µm}+ 0.1 \cdot f_{mm}}{f_{mm} \cdot \cos \delta}
La règle NPF simplifiée
Si on tolère un déplacement d’un diamètre de l’étoile (k=2) et en simplifiant encore un peu, il est possible de considérer le cas le plus conservatif où l’étoile a une déclinaison nulle (c’est à cette déclinaison qu’elle se déplace le plus rapidement), on néglige aussi le terme relatif à la turbulence (seeing idéal) et on arrondi les chiffres à 5 près pour arriver à la règle NPF simplifiée :
t_{simple} \approx \dfrac{35 \cdot N + 30 \cdot p_{µm}}{f_{mm}}
Temps d’exposition le plus strict
Une autre approche, bien plus stricte, consiste à ne pas tenir compte de la diffraction, des aberrations optiques, de la conversion de la matrice de Bayer et de la turbulence atmosphérique. On limite donc le déplacement de l’étoile – qu’on suppose ponctuelle – à la seule largeur d’un pixel. On a alors :
t_{expo} \approx \dfrac{p}{v_{capteur}} \approx \dfrac{p}{\dfrac{f \cdot \cos \delta}{13713}} = \dfrac{13713 \cdot p_{µm}\cdot 10^{-6}}{f_{mm} \cdot 10^{-3} \cdot cos \delta} \approx 14\cdot\dfrac{p_{µm}}{f_{mm} \cdot cos \delta}
Pour une déclinaison nulle, on obtient la durée minimale d’exposition, c’est le cas extrême :
t_{expo} \approx 14\cdot\dfrac{p_{µm}}{f_{mm}}
Ce temps est cependant très court et irréaliste.
La règle des 4-crop
Je veux bien reconnaître que la règle NPF peut rebuter ceux qui sont mal à l’aise avec les calculs (et oui 2+3×4 ne fait pas 20 mais 14).
Sur la base d’une liste de près de 250 boitiers APSC, µ4/3 et Plein Format de 10 MPix ou plus, j’ai recherché une loi simple qui, bien que moins précise que la règle NPF, reste meilleure que la règle des 500.
La plus simple que j’ai trouvée est :
t_{expo} \approx 100 \cdot \dfrac{4-crop}{f_{mm_{réelle}}}
Cela revient à une règle des 400 pour les M4/3, 385 pour les APS-C Canon, 375 pour les autres APS-C et 300 pour les pleins formats, en utilisant la focale équivalente (donc la focale réelle multipliée par le facteur de crop).
Attention, cette règle est très approximative et n’a été déterminée qu’à partir des formats des boitiers photos décrits ci-dessus. Elle n’est notamment absolument pas utilisable sur des petits capteurs comme ceux des smartphones !
Ce tableau compare sa précision moyenne avec celle de la règle des 500 par rapport à la règle NPF pour diverses combinaisons de focales et d’ouverture:
On se rend compte que cette règle fonctionne plutôt bien pour des ouvertures de f/2.8, très largement utilisées en paysages de nuit. Elle a tendance à un peu sur-estimer le temps de pose pour les objectifs plus ouverts et à le sous-estimer pour les objectifs plus fermés. A contrario, la règle des 500 est très mauvaise pour les objectifs ouverts, notamment sur les capteurs pleins formats. Elle est moins pire avec les capteurs µ4/3 et les objectifs fermés (f/4.5 ou plus).
Retour vers le passé avec la règle des 500
La règle des 500 était utilisée du temps de la photographie argentique. La plus ancienne référence que j’ai trouvée provient d’un texte de Dick Hutchinson, qui l’utilisait dans les années 1990 (il utilisait en fait la règle des 600). En 1997, dans leur Photographic Atlas of the Sky, HJP. Arnold P. Doherty et P. Moore, préconisent la règle des 500 pour les photos d’étoiles au dessus de 50° de déclinaison, et la règle de 1000 en dessous de 50°.
Cette règle peut se justifier à partir du cercle de confusion. En photographie, le cercle de confusion (CdC) est le plus gros disque lumineux circulaire qui puisse se former sur la surface photosensible et qui sera néanmoins perçu comme un point sur le tirage final.
En argentique plein format (24×36), la valeur communément admise était un CdC de 0,029 mm. Si on utilise un film de dimensions différentes de 24×36, il faut diviser le CdC par le facteur de crop (par exemple 1.6 pour un APS-C Canon, ou 1.5 pour un APS-C Nikon ou Sony).
Une étoile de déclinaison δ prise avec une focale f se déplace sur la pellicule d’une distance d en fonction de la durée t de l’exposition :
d=f \cdot tan \left( \dfrac{2 \pi}{86164}\cdot t\cdot\cos \delta \right) \approx \dfrac{f\cdot t \cdot\cos \delta}{13713}
Pour que l’étoile reste contenue dans le cercle de confusion CdC il faut que le temps de pose soit inférieur ou égal à :
t \approx \dfrac{13713}{f \cdot \cos \delta}\cdot \dfrac{CdC}{crop}
Pour une étoile située à 0° et 45° de déclinaison, une focale exprimée en mm et un cercle de confusion de 0,029 mm, on a alors :
t_{0°\dots45°} \approx \dfrac{13713\times 0,029}{f_{mm} \cdot crop\cdot cos\ {(0°\ à \ 45°)}} = \dfrac{398\ à\ 562}{f_{mm}\cdot crop} \rightsquigarrow \dfrac{400\ à \ 600}{f_{mm}\cdot crop}\rightsquigarrow \dfrac{500}{f_{mm}\cdot crop}
On retrouve bien la règle des 500, valeur moyenne entre 400 et 600.
Aujourd’hui, la qualité des capteurs et des objectifs est bien meilleure qu’à l’époque de l’argentique. La notion de Cercle de Confusion est bien moins significative en raison de la résolution largement supérieure à celle des meilleurs films argentiques, sachant qu’on peut maintenant en quelques secondes recadrer une photo, la zoomer à loisir sur son écran, et l’imprimer en très grand format. Et surtout, les gens s’attendent désormais à des images parfaitement piquées. Il suffit de voir le succès des écrans Ultra-HD, 4K, 8K, ou encore de comparer la résolution des photos et films actuels avec ceux des années 80.
C’est pourquoi la règle des 500 a fait son temps, la règle NPF prend le relais.
D’autres règles
Planit! propose une autre règle qu’ils ont développée, appelée Règle CoC, un peu plus tolérante que la règle NPF, mais malheureusement non documentée. Les seules indications fournies sont qu’elle tient compte de la focale et du cercle de confusion pour que l’étoile reste sur deux pixels adjacents.
Ian Norman (fondateur du site Lonelyspeck) a aussi développé la règle Advanced Astrophotography Shutter Time qu’il explique en détail à cette page. Elle tient compte de la focale, de la taille des pixels et d’une tolérance de filé.
Remerciements
Je tiens tout particulièrement à remercier :
- Aaron D. Priest pour les tests qu’il a effectués et son soutien dans la diffusion de la règle NPF au sein de la communauté des photographes de paysages de nuit.
- Les développeurs de PhotoPills, qui ont implémenté la règle NPF dans leur app.
- Kevin Lindstrom de l’Université du Connecticut pour sa relecture et ses commentaires sur la méthode.
- Nico Carver pour sa vidéo Youtube expliquant de façon très claire les arcanes de la règle NPF.