Bruit – partie 1 : les bruits

Un capteur reçoit un signal et le convertit en information numérique. En photographie, c’est la lumière qui est d’abord convertie en électrons puis ils sont traduits en un niveau d’illumination exprimé en bits.

Ça c’est la théorie. En pratique, pas mal d’autres choses indésirables vont s’ajouter au signal qui vont polluer l’information finale. On appelle cela le bruit ou plutôt les bruits car ils se baladent en groupe.

Les bruits

Rapport Signal/Bruit

LE Dithering

Un bruit est par nature aléatoire, soit dans le temps et il s’appelle alors bruit temporel, soit dans l’espace et c’est un bruit spatial. Un signal n’a rien d’aléatoire, ce n’est pas un bruit, même s’il est indésirable. Les objets photographiés génèrent le signal utile qu’on cherche à capter qui va se superposer aux bruits et aux signaux parasites.

De part sa nature aléatoire, un bruit NE SE RETIRE PAS ! On peut même dire que :

bruit + bruit = plus de bruit
bruit - bruit = plus de bruit

Bruit de photons

C’est un bruit temporel. On l’appelle aussi bruit de grenaille, bruit poivre et sel ou bruit quantique (en anglais shot noise). C’est une propriété quantique de la lumière indépendante de la qualité du capteur. Si une source lumineuse émet un flux constant de photons, les photons qui arrivent à un endroit donné ont en moyenne un flux constant, mais sur des intervalles de temps plus courts, le flux varie. Imaginez un trottoir sous une faible pluie. Il y aura une goutte ici, deux gouttes là, une autre un peu plus loin, et il faudra attendre longtemps pour que le trottoir soit uniformément mouillé. Si la pluie est forte, le trottoir sera quasiment instantanément mouillé.

Il est d’autant plus visible que le flux qui arrive sur le capteur est faible et qu’on doive amplifier l’image pour voir le signal utile : le bruit est amplifié d’autant et brouille l’image.

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Pose unique de 30 s, exposition ajustée de 2 stops pour correspondre à une pose de 120 s

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Pose unique de 120 s.

Ce bruit est proportionnel au carré du signal reçu. Autrement dit, quand le signal est multiplié par 4, le bruit est multiplié par 2, ainsi le Rapport Signal sur Bruit (RSB) d’une photo de 60 s sera 2 fois meilleur que le RSB d’une pose de 15 s. Augmenter le temps de pose unitaire et empiler des images sont les remèdes pour combattre ce bruit.

Bruit et signal thermique

Il s’agit d’une combinaison de bruit spatial, temporel et d’un signal.

Le bruit-signal thermique est aussi appelé bruit de Johnson ou de Johnson-Nyquist. Il est généré par l’agitation thermique des électrons à l’intérieur du capteur. La chaleur agite les électrons qui vont parfois avoir assez d’énergie pour être considérés comme un signal. Plus le temps de pose est long et la température est élevée, plus le nombre d’électrons qui vont ainsi s’échapper sera important. Des irrégularités d’une zone du capteur à l’autre vont générer un bruit spatial, qui est responsable du bruit de trame que l’on observe quand on ne fait pas de dithering.

La nature même de ce phénomène fait qu’on a un niveau moyen qui s’accumule avec le temps de pose, d’autant plus vite que la température augmente. C’est le signal thermique. Et on constate une fluctuation aléatoire autour de cette valeur moyenne, c’est le bruit temporel thermique.

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L’image est plus bruitée quand la température est élevée

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L’image est plus claire quand le temps de pose augmente

On réduit les perturbations thermiques en baissant la température du capteur.
On retire le signal thermique en prenant des darks.
On réduit le bruit temporel thermique en empilant les images.
On réduit le bruit spatial thermique en faisant du dithering.

Bruit de dérive

C’est la conséquence du bruit spatial thermique responsable d’une trame inclinée très gênante après empilement car elle ne peut pas être supprimée sans dégrader l’image. La trame suit la dérive causée par une mise en station imprécise, d’où son nom. Elle porte aussi le nom (incorrect) de bruit télégraphique, ou walking noise chez les anglosaxons. La seule façon de lutter contre ce phénomène est soit de faire une mise en station parfaite, ce qui n’est pas facile en configuration nomade, soit de faire du dithering, ou mieux, les deux.

On élimine le bruit de trame en combinant une bonne mise en station et la technique de dithering.

Bruit de scintillation

C’est un bruit temporel et spatial. Il est aussi appelé bruit de scintillement, de papillonnement ou 1/f (en anglais flicker noise).

Il est principalement causé par des impuretés ou défauts présents dans le matériau semi-conducteur du capteur qui capturent ou libèrent aléatoirement des électrons dans le système. Les semi-conducteurs de petite surface (par exemple les tous petits pixels) sont plus sensibles à ce bruit que les plus gros.

C’est un bruit aléatoire mais lié à la présence d’impuretés dans le capteur. On peut donc cartographier les zones où il est plus ou moins présent. Il est aussi légèrement affecté par la température.

On corrige le bruit de scintillation en intégrant un grand nombre de poses, et dans une moindre mesure, avec les darks.

Bruit de lecture

C’est un bruit temporel. En anglais on l’appelle readout noise. Il a la même origine quantique que le bruit photonique, mais au lieu des photons, il s’agit ici des électrons. Il est totalement aléatoire et affecte toutes les photos, quel que soit le temps de pose, la température ou l’illumination du capteur. Cependant il est relativement faible, et est de mieux en mieux géré par les fondeurs de capteurs, à tel point qu’il devient presque négligeable pour les capteurs les plus récents.

Ce bruit est de l’ordre de quelques électrons par photosite, voir moins de 1 électron (en moyenne) sur les meilleurs capteurs.

On corrige le bruit de lecture en empilant de nombreuses poses.
Les offsets (ou bias chez les anglosaxons) ne retirent pas le bruit de lecture !

Bruit de bande

C’est un bruit temporel. Il est aussi appelé banding en anglais. C’est un bruit aléatoire qui affecte toute une colonne (ou toute une rangée) de pixels. Cela est dû à la façon dont les fabricants de capteurs gèrent le signal issu des colonnes (ou rangées) de pixels. Un ensemble de pixels au bout de la colonne (ou de la rangée) est recouvert d’un revêtement opaque et ils servent de référence afin de corriger – au moins partiellement – le bruit thermique de cette colonne (ou rangée). Mais la réponse de deux colonnes (ou rangées) voisines n’est jamais identique à cause en particulier des parts aléatoires des bruits (thermique, lecture et scintillation) qui affectent aussi ces pixels aveugles. Ainsi la correction fluctue aléatoirement d’une colonne (ou rangée) à l’autre et d’une photo à l’autre. C’est moins visible chez Nikon et Sony que chez Canon.

On corrige le banding aléatoire en multipliant le nombre de poses. Le banding rémanent est retiré avec les offsets et les darks.

Bruit de quantification

Ce bruit est d’une autre nature que les autres. Il n’est ni temporel ni spatial. Il dépend de l’image prise et de la façon dont elle est numérisée. Le flux d’électrons émis par le photosite doit être converti en une valeur numérique qui est souvent codée avec moins de chiffres que le nombre réel d’électrons reçus. Il s’opère une sorte d’arrondi. C’est un peu comme payer ses courses avec uniquement des pièces de 1€ alors que les prix sont donnés en centimes. Cette dégradation du signal est le bruit de quantification. Elle se traduit par des dégradés échelonnés et l’apparition de grain sur les images.

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Image originale (16 bits)

Image après quantification (8 bits)

On corrige ce bruit avec un gain adapté pour gagner en dynamique et en empilant des poses afin de moyenner les erreurs d’arrondi. Le dithering permet aussi d’en réduire les conséquences.

Luminescence

Ce terme est souvent aussi appelé Ampglow. Il regroupe deux phénomènes expliqués ci-dessous.

Thermoluminescence

Il s’agit d’un signal causé par l’échauffement de certains composant électroniques à proximité du capteur. Elle se traduit par des zones où un signal parasite, causé par la réponse thermique du capteur, sera plus important à certains endroits, ici en bas à droite.

La thermoluminescence n’est pas forcément proportionnelle au temps de pose car certains composant qui chauffent ne sont pas toujours en marche. L’optimisation des darks peut alors mal fonctionner et retourner des images mal corrigées. Il est dans ce cas préférable de ne pas optimiser les darks.

On corrige la thermoluminescence avec les darks non optimisés.

Luminescence infrarouge

Il s’agit d’un signal causé par l’émission en proche infrarouge de certains composants de la caméra. Elle est surtout visible sur les caméras refroidies, pour lesquelles la thermoluminescence, le signal et le bruit thermique sont très faibles. Des structures très marquées apparaissent alors sur les bords ou les angles.

Comme avec la thermoluminescence, ce phénomène est mal corrigé avec les darks optimisés.

On corrige la luminescence IR avec les darks non optimisés.

Fuites de lumière

Ce ne sont pas des bruits mais des signaux parasites. Divers composants de l’appareil photo ou de son entourage peuvent illuminer le capteur si l’étanchéité à la lumière est imparfaite. Cela peut être une LED, l’écran, ou toute autre source lumineuse. Si cette source de lumière est propre à l’appareil photo, son effet sera retiré par des darks non optimisés, sinon il faudra chercher d’où elle provient et par où elle passe, et supprimer la source et la fuite.

Biais

C’est une sorte de signal. Chaque photosite capte un flux lumineux qui est converti en une valeur numérique. Mais pour un même signal en entrée, deux pixels peuvent retourner deux valeurs systématiquement légèrement différentes (indépendamment de tout bruit). On peut remarquer un écart similaire entre deux colonnes de pixels à cause des composants qui gèrent ces colonnes. De plus, les fabricants de capteurs peuvent aussi modifier forfaitairement la valeur de sortie, par exemple en y ajoutant une constante. Canon fait cela en ajoutant par exemple 256 aux valeurs captées par les photosites du 1000D, ou 2048 avec le 6D.

On retire le biais en faisant des offsets et c’est d’ailleurs uniquement à cela que servent les offsets.

La réponse non uniforme

Il ne s’agit ni d’un bruit ni d’un signal. Quand on expose le système optique avec son capteur à une plage de lumière uniforme (par exemple un panneau uniformément blanc), sans saturer l’image, on constate que :
– l’image est plus sombre sur les bords qu’au centre. C’est le vignettage.
– des tâches apparaissent sur l’image, ce sont des poussières.
– deux pixels voisins ont une réponse différente (cela peut aller jusqu’à quelques %).

On rectifie la non uniformité avec les flats.

Les photosites déviants

Il ne s’agit ni d’un bruit ni d’un signal. En théorie un photosite retourne une valeur numérique qui est une fonction du nombre de photons qu’il reçoit. Mais certains sont déviants et ne retournent jamais rien (les pixels morts), ou alors restent allumés en permanence (pixels chaud) même quand ils ne reçoivent aucun signal. D’autres ont une réponse anormale par rapport au signal reçu (pixels zombies), par exemple ils retournent bien zéro dans le noir mais saturent dès qu’ils reçoivent un peu de lumière.

Les photosites zombies dont la réponse au signal est anormale sont plus difficiles à identifier. Il faudrait pour cela les éclairer à plusieurs intensités lumineuses et analyser les images pour les séparer des autres. Ce n’est pas simple à réaliser.

Heureusement le dithering permet d’éliminer très efficacement ces pixels déviants et permet de se passer d’un traitement cosmétique (sauf en spectrométrie où le dithering n’est généralement pas possible).

On élimine les pixels déviants en faisant du dithering, ou à défaut avec une analyse cosmétique.

Les rayons cosmiques

C’est un bruit temporel. Les rayons cosmiques sont des particules de haute énergie en provenance de l’espace (surtout du Soleil). Heureusement l’atmosphère terrestre arrête la plupart des rayons cosmiques. Mais certains peuvent quand même frapper le capteur et grâce à leur grande énergie marquer leur passage sur l’image par une trace lumineuse en forme de traits voire de vermicelle. Leur nombre augmente évidemment avec le temps de pose. On peut en retrouver sur les offsets et les flats mais surtout sur les lights et les darks.
C’est un phénomène complètement aléatoire qui ne peut être réduit qu’en intégrant quelques images.

On élimine les traces des rayons cosmiques en empilant plusieurs images.

Les satellites et avions

C’est un bruit temporel. Ces engins artificiels peuvent traverser le champ observé et laisser une trace lumineuse indésirable sur la photo, comme par exemple un groupe de satellites Starlink (vous savez, ces satellites qui permettent aux riches copains d’Elon Musk et de Donald Trump de mater des films de cul en full HD en plein milieu du désert du Kalahari pendant qu’ils massacrent en toute impunité une espèce en voie d’extinction).
C’est un phénomène complètement aléatoire qui ne peut être réduit qu’en intégrant plusieurs images. Malheureusement il faudra se faire à ce type de pollution de nos images, car les constellations de satellites n’en sont encore qu’à leur balbutiement.

On élimine les traces de satellites et avions en empilant plusieurs images.

Les astéroïdes et étoiles filantes

C’est un bruit temporel. Les astéroïdes sont rarement gênant. Comme ils sont très éloignés dans l’espace, leur mouvement apparent est très lent et au pire, ils peuvent provoquer des petits traits sur les photos généralement pas ou peu visibles. A contrario, les étoiles filantes n’affectent qu’une voire deux photos tant leur durée de vie est courte (à peine plus d’une seconde). On élimine leur trace en empilant plusieurs photos.

On élimine les traces des étoiles filantes en empilant plusieurs images.

La buée

Ce n’est ni un bruit ni un signal. La buée est pernicieuse car elle apparait souvent très lentement, généralement depuis le centre de la lentille avant de s’étaler sur toute sa surface tout en devenant de plus en plus opaque. C’est le contraste des images qui se dégrade progressivement, puis les étoiles s’empâtent en disques lumineux avant de disparaitre complètement. Des logiciels comme PixInsight, DeepSkyStacker ou Siril permettent de tracer la courbe du diamètre moyen des étoiles (FWHM) d’une photo à l’autre, ce qui permet de constater que la buée commence à dégrader les images avant même que cela ne soit perceptible sur les photos à l’œil nu.

On lutte contre la buée, soit avec des moyens soit passifs (pare buée, isolation), soit actifs (résistance chauffante).

Conclusion

  • Les bruits temporels sont atténués en empilant de nombreuses poses et en utilisant une méthode statistique de réjection.
  • Les bruits spatiaux sont atténués en faisant du dithering.
  • Les signaux indésirables sont supprimés ou atténués avec les Darks, Offsets et Flats.

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